
Le Grand Bain : les hommes nus
Je craignais. Je craignais le film « entre potes », comme avait pu l’être, ce malaise sur grand écran Les Infidèles. Gilles Lellouche s’est détaché du navire à la dérive qu’est Jean Dujardin : et ça fait du bien.
Le Grand Bain, c’est des hommes tristes, en moule-bite et bonnets plastiques. Ce sont des hommes blindés de failles et d’ennuis mais des hommes qui vivent et continuent d’avancer.
La plus grande force de ce film : c’est son casting, et ma mention spéciale va à l’immense Philippe Katerine. Cet homme est merveilleux et l’on ne sait jamais s’il joue un rôle ou pas totalement. Ici, Thierry est le plus sensible et mal aimé, mais aussi celui qui se soucie de l’autre. Qui tend la main, comme les bras et qui partagerait son Twix pour un sourire. Un gars bien, dont on ne comprend pas tout mais qu’importe. Ses histoires sont décousues, et sous ses airs de clown, on sait bien que les paroles un peu trop brutes l’atteignent. Il est le personnage le mieux écrit du film, plein de différences et de particularités.
La natation synchronisée, c’est leur plaisir du jeudi soir. Ils sont nuls, ne savent rien faire mais semblent plutôt détendus dans l’eau. Leur prof, une Virginie Efira pleine de vie mais au bord du gouffre leur fait la lecture en fumant sur le plongeoir pendant qu’ils font la planche : vaste programme.
Le film s’étend sur plus de deux heures avec un rythme plutôt soutenu sans qu’aucune longueur ne se remarque vraiment. Les personnages sont bien inclus les uns aux autres, sauf peut-être le personnage indien dont on ne sait strictement rien et qui semble parfois faire simple office de quotient : c’est dommage car il y avait de la place pour lui, comme il y en a toujours pour l’Autre.
J’ai aimé la triste véracité du film qui permet aussi sa douceur : celle de la rédemption d’hommes qui n’attendent plus grand chose, si ce n’est rien.
À mesure que le film se déroulait sous mes yeux, j’ai réalisé que les corps étaient à moitié nus la moitié du film et qu’à aucun moment ils n’étaient sexualisés. Nous avons sous les yeux des corps : ni vieux, ni jeunes, ni parfaits ni imparfaits : de simple corps de la vie, propres à chacun sans que l’autre n’ait à émettre de jugement physique : et le film s’y tient.
C’est presque la première fois dans le cinéma français. Je me demande si nous aussi, les femmes, nous sera laissée la chance d’avoir le corps qu’on a sans que personne n’y prête ni avis ni attention. Qu’on nous laisse une place dans le cinéma populaire sans moquerie.
Le Grand Bain est un film rondement mené et qui raconte quelque chose. Ce qu’on laisse paraitre en société quand il faut faire face, ce qu’on accepte de raconter et d’expliquer aux autres. La part de nous-même que l’on ouvre au monde.