
M : l’audacieuse poésie d’un grand film
En visionnant la bande-annonce du nouveau film de Sara Forestier, un autre film m’est directement venu à l’esprit : Sur mes lèvres de Jacques Audiard. Un film absolument sublime où Emmanuelle Devos et Vincent Cassel tombent l’un sur l’autre et vont tenter de s’apprivoiser au delà de leurs faiblesses et leurs douleurs. Un film d’une immense beauté, aussi tendre qu’il est violent.
Dans M, Lila est lycéenne et bègue. Elle en a honte alors elle n’ouvre jamais la bouche et ne parle pas. Pourtant, elle a énormément de choses à dire. Elle écrit de la poésie au Bic 4 couleurs sur des carnets fleuris qu’elle transporte partout.
Sa vie de famille est un chaos, elle peine à savoir qui elle est, alors elle écrit, puis elle tente d’oublier. Son père – formidable Jean-Pierre Léaud- est abîmé, se promène en tongs, pieds ruinés, visage exténué. C’est Lila qui s’occupe de sa jeune sœur en CP, Soraya. Enfant qui a grandi trop vite, différemment et qui est hors du cadre.
La grande force de ce film, c’est le peu de personnages. Ils ont tous leur place, ni trop peu ni pas assez. Mo viendra assez vite compléter le tableau de Lila. Mo, faux caïd, vivant dans un bus à double-étage au milieu d’un parking abandonné.
Il ne sait ni lire ni écrire et il en a honte, plus que tout.
Ils se ressemblent finalement, mais Mo et Lila n’ont pas la même manière d’appréhender leur honte. L’une se cache l’autre moins, les caractères ne sont pas les mêmes et ils sont finalement deux êtes qui ont mal.
Leur relation fascine autant qu’elle touche dès les premiers échanges. Il prend le temps de s’intéresser à elle alors qu’elle n’arrive pas à lui dire un mot.
Le jeu, sur cet aspect de Sara Forestier est d’une justesse folle. Ce n’est même pas que l’on croit à son bégaiement, on le vit avec elle et on souffre. Ses mains, qu’elle porte systématiquement à sa bouche lorsqu’un mot en sort, ses grands yeux toujours si pleins d’eau comme si elle pleurait de vivre ou de se voir dans le regard d’un autre.
La grande surprise de ce film, c’est Mo, interprété par Redouanne Harjane. Une révélation. Il porte le film et l’explose de sa véracité. Je pense notamment à deux scènes. Celle du bus lorsqu’il tente de justifier son altercation au restaurant puis la scène avec sa sœur. Je trouve incroyable qu’un acteur, dont c’est le premier grand rôle, arrive à cette intensité.
M est un film audacieux et réussi, à la construction poétique mais si simple. Tout s’imbrique aisément et l’on se laisse porter au milieu de ces plans lumineux malgré les poux, la salle de bains aux murs décollés, les bus protecteurs, comme utopie dans la banlieue oubliée.
M est un grand film qui paraît petit, intime. La salle de cinéma est remplie et pourtant on a cette sensation rare et précieuse que le film n’est joué que pour nous. Qu’il s’adresse à nous et que nous sommes le seul confident de cette histoire d’amour particulière. Cette histoire d’amour qui s’affranchit des banalités, des regards, des jugements et des questions trop compliquées que l’on se pose.
Je n’ai qu’un espoir, plusieurs jours après avoir vu ce film. Croiser Lila et Mo dans la rue. Qu’elle peine toujours un peu à s’exprimer, qu’il n’arrive pas à lire tous les mots d’une phrase. Non pas dans le manque de progrès, mais dans l’espoir qu’on puisse vivre différents, avec nos peines, mais dans l’égalité.