
Marvin ou la belle éducation : changer de classe.
Il y a 3 ans, Édouard Louis publiait son premier roman : En finir avec Eddy Bellegueule. Un roman autobiographique dans lequel il décrit son enfance en Picardie dans une famille qui vit en dessous du seuil de pauvreté dans les années 1990. Le harcèlement, les agressions, les insultes face à son homosexualité. L’enfer d’un quotidien trop lourd pour un jeune homme qui trouvera finalement refuse dans le pensionnat de la classe de théâtre. Un refuge temporaire puisqu’on n’échappe pas si aisément à celui que l’on est.
C’est un long roman, écrit avec les tripes, une ponctuation hasardeuse, un vocabulaire familier et réaliste. C’est un livre d’une grande difficulté tant dans les mots que dans la réflexion autour.
C’est de ce livre qu’Anne Fontaine a décidé de s’inspirer (fortement) pour son nouveau film : Marvin. Des récits imbriqués de l’avant et de l’après avec un casting absolument parfait. Les deux Marvin sont saisissants et justes, tantôt dans la retenue, puis dans l’explosion. Catherine Mouchet dans le rôle de l’intermédiaire, pleine de bienveillance sans pathos est géniale. L’immense Vincent Macaigne en double-évolué est comme toujours plein d’émotion. Il semble sans cesse au bord des larmes. Il y a d’autres personnages de cette bourgeoisie très bien choisis, mais ceux qui offrent le plus d’intensité sont la famille de Marvin, notamment India Hair, actrice largement sous estimée qui est capable de tant. Tout est dans son attitude. La manière qu’a son regard de fuir et de se laisser tomber. Une voix très particulière aux intonations reconnaissables. Mai surtout, de ce film, je ne retiendrais que Grégory Gadebois qui joue le père méchant, raciste et homophobe de Marvin. Films après films, cet acteur me coupe le souffle. Il est à vif et semble se fondre dans ses personnages comme une glace dans un cornet chaud. Comme s’il suffisait d’un léger choc thermique pour qu’il comprenne tout. Il est la star de ce film, de loin. Ce que je regrette et qui est à l’image du film selon moi, c’est la facilité. Le père de Marvin passe d’une personnalité à une autre en un changement de plan et ça décrédibilise tout le propos.
Les changements d’espace-temps ne sont pas assez marqués visuellement et je ne vois pas ce que le récit croisé (plutôt que chronologique) apporte, mis à part une fausse complexité.
Le film dans les parties « adultes » s’enfonce dans une sorte de bourgeoisie complaisante qui chasse toute émotion. Marvin aurait donc changé du tout au tout sans doute et sans retour. La pièce avec Isabelle Huppert aurait mérité plus de temps parce qu’elle est cruellement révélatrice du processus. On s’encombre de scènes pour amuser la galerie mais on n’entre pas en contact avec Marvin pour qui cela avance alors qu’on est laissé derrière.
Quand j’ai lu En finir avec Eddy Bellegueule, il m’a fallu des semaines pour réussir à lire autre chose. Le récit prenait à la gorge, c’était d’une telle puissance. Je crois que c’est quasi impossible à mettre en scène. Il y a la puissance de la littérature, ses silences, ses interprétations sa singularité, qu’elle soit les confessions d’un seul homme. Écrites dans la rage, la honte ou dans une sérénité trouvée. Il est des transpositions qui ne marchent pas au cinéma. Le film est loin d’être mauvais malgré l’embourgeoisement, loin de là. Mais il n’est absolument à la hauteur des uppercuts que sont les mots d’Édouard Louis.