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Les fantômes d’Ismaël : les autres en nous

Les fantômes d’Ismaël : les autres en nous

Il y a deux réalisateurs français dont j’attends toujours impatiemment les films : André Téchiné et Arnaud Desplechin. Aujourd’hui je parlerais du second.

Il représente le cinéma français que j’aime plus que de raison.

Je me souviens des dvds que j’empruntais à la médiathèque quand j’étais au collège et que je regardais toute la nuit. J’aimais les histoires simples, les personnages auxquels je m’attachais et dont je voulais prendre des nouvelles, les dialogues fins aux mots qui percutent sincèrement. Ces bandes-originales souvent monotones mais qui portent de grands films, comme des ritournelles qu’on ne remarque pas tout de suite.

Cette année, Arnaud Desplechin ouvre le 70ème festival de Cannes avec Les fantômes d’Ismaël. On y retrouve l’immanquable Mathieu Amalric (existe-t’il plus grand que lui ?) et deux nouvelles chez Desplechin : Marion Cotillard et Charlotte Gainsbourg. J’ai vu ce film comme une immense prise de risque. Je ne saurais pas trop l’expliquer, mais j’ai eu l’impression que le réalisateur sortait de ses sentiers et tentait des choses.

Les visages sont filmés en très gros plans, les peaux n’ont plus aucun secret.

J’ai eu l’impression de voir Charlotte Gainsbourg pour la première fois, de la rencontrer. Elle y est vivante, dans un superbe personnage droit mais complexe, intelligent mais faillible. Elle est incroyable et ce duo féminin du film fonctionne si bien.

C’est un film qui est très porté sur « l’intérieur », et sûrement même l’introspection.

L’écriture, les bureaux, les lectures, les millions de questions.

Le personnage d’Ismaël, aux airs de génie fou, doute de tout et paraît pourtant si habité. Il a vécu la perte, l’absence, l’inconnu. Il est ce que les autres ont fait de lui.

Il se laisse pénétrer si facilement, si puissamment par l’Autre, que tout l’abîme.

Il y a une scène assez intéressante où une de ses actrices lui explique que ces sentiments n’arrivent pas à une actrice, sur qui tout glisse pour ne jamais prendre le risque d’être modelée définitivement par l’Autre.

Les fantômes d’Ismaël est pertinent dans ce qu’il dit sur le processus de création, les états par lesquels l’artiste passe, comme il est souvent compliqué de faire la différence entre toutes ces vies qui se confondent, comme il est compliqué d’être et d’exister par soi-même et à travers nul autre.

C’est drôle, je repense beaucoup à cette phrase « L’art, c’est les autres en nous ». C’est si vrai, on l’oublie tellement souvent. Ça m’émeut quand je pense qu’on se porte les uns les autres, parfois sans le savoir, sans s’en douter.

Ce film parle beaucoup finalement, autant que toutes les voix de ceux qui sont passés dans nos vies et qui nous habitent : nos fantômes. Comment l’on vit avec les Autres à l’intérieur de soi ? Où faut-il les installer ? Comment les apprivoiser ?

Les fantômes d’Ismaël pose beaucoup de questions sur de belles images, un peu saturées même dans ce qui semble être l’été. Des plans où règne l’Amour, les Amours, ceux qui nous rassemblent et parfois nous séparent. Le ton si propre et si cher aux films de Desplechin est bien présent et il fait probablement un peu partie de l’Autre en nous. Celui que l’on aime attendre, que l’on aime retrouver, mais que surtout on ne voudrait jamais perdre, jamais oublier.

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