
Ceux qui veulent sortir
Les profils se dessinent, les bienheureux se déconfinent.
Le temps commence à se faire long pour certains et réaliser que nous ne sommes qu’à mi-chemin s’avère complexe. Sur les réseaux sociaux, dans les conversations sous ma fenêtre, les mots sont énervés et aussi déterminés :
« Qu’importe la durée, moi je sors ça suffit ! »
Mais qui sont-ils ces héros des temps modernes ? D’où tirent-ils cette confiance ? Où est cachée leur peur ?
Ces derniers jours, mes erreurs s’accumulent. Scroller Twitter des heures. Recommencer. Cliquer sur des articles effrayants. Me contracter. Fermer l’article. En lire un pire. Puis sentir ma gorge qui gratte. Tousser. Recommencer. Paniquer. Le point dans la poitrine.
Et si c’était maintenant ? Et s’il tombait sur moi ?
J’ai regardé quelques JT. J’ai écouté tous les médecins expliquer les profils-type des gens en réanimation. 50% des patients y meurent. Une chance sur deux. J’ai écouté attentivement chaque description, chaque pourcentage. Et là, devant la TV à 20h30, j’ai réalisé que les patients en réanimation, c’était moi.
Je ne partage pas toutes les comorbidités mais assez pour me demander si je devrais écrire un testament. Une dernière lettre. Quelque chose.
Lorsque le déconfinement est abordé, ça ne m’intéresse plus. J’ai bien assimilé que tant que le virus serait là, je ne serais pas en sécurité. Il me cherche, parce que je suis la proie facile. Celle qui ne court pas assez vite.
Je les comprends ces gens qui veulent sortir car leurs semblables ne sont pas en réanimation.
J’aimerais me payer le luxe de cette sérénité inatteignable. J’aimerais avoir leur confiance en l’avenir.
En confinement, ils s’ennuient. Ils manquent d’espace et d’interaction sociale. Moi en confinement, j’ai l’impression que c’est mon avenir. Mon aujourd’hui et mon demain. Que mon temps à l’intérieur sera plus long que celui des autres.
Au début c’est un peu compliqué à accepter. Pourquoi les autres et pas moi ? Mais les images me rattrapent. Chaque soir le nombre de morts est annoncé. Depuis une semaine il est lourd, lourd, lourd. Les places en réanimation se libèrent. Ils disent ça comme si c’était une victoire. Je choisis toujours ce moment-là pour calculer le nombre de sortie et déduire le nombre de morts du jour. C’est facile de libérer un lit quand il s’agit d’un cadavre. Et ils le disent en souriant.
Je ne veux pas que des soignants me retournent deux fois par jour pour laisser mes poumons respirer. Je ne veux pas qu’on m’endorme doucement, seule. Je ne veux pas ne pas savoir s’il y aura un réveil. Je ne veux pas voir la mort en face, pas de lente agonie.
Je préfère qu’elle me vienne de côté, sournoise. Qu’elle m’attrape sans que mon coeur n’ait le temps de se serrer et de réaliser.