cinéma
120 battements par minute : la fureur de vivre

120 battements par minute : la fureur de vivre

Voir les gens qu’on aime mourir dans l’extrême souffrance sur leur lit. Le corps en ruine, des cratères, des plaies qui ne guérissent pas, des pieds à vif sur lesquels le corps ne peut plus s’appuyer pour marcher.

Des visages décharnés par le virus, des corps qui finiront par n’attendre qu’une chose : la mort. Celle contre laquelle ils se sont tant battus, celle qui fait si mal lorsqu’elle frappe à la porte mais met tant de temps à partir.

Dans les années 1980, le virus du SIDA fait son entrée meurtrière en France. Les premiers touchés et montrés du doigt sont les homosexuels, les prostitué(e)s et les toxicomanes. Des communautés que l’État a pour habitude de laisser dans le caniveau, parce que c’est un fait : certaines vies valent plus que d’autres. Aucun exposé n’est nécessaire pour le démontrer : ouvrons nos fenêtres, allumons nos télévisions, l’égalité n’existe pas et les gens meurent, parfois pire : ils souffrent.

            120 battements par minute est un film de Robin Campillo et ils sont tous deux ressortis du dernier festival de Cannes avec le Grand Prix.

Qu’il m’est compliqué de parler de ce film et de son sujet principal. Je ne sais même pas par où débuter tant le film m’a attrapée, fait mal, fait pleurer… Pour au final me laisser le goût d’une merveille.

Le spectateur se situe entre les assemblées générales d’Act-Up, association qui cherchait à obtenir la transparence sur les traitements contre le SIDA (entre autres), et la vie de ces hommes –majoritairement- plus ou moins jeunes qui vivent avec le virus. Ils vivent avec, à une époque où le SIDA fait des ravages. Où les corps tombent en quelques semaines à peine sous l’amour impuissant des proches.

Ce sont des victimes dont il est question dans 120 battements par minute. S’il a été présenté comme un film militant, je l’ai plutôt perçu comme un film de lutte personnelle et d’amour. On entre dans les vies de ces hommes. Des vies qui n’ont plus rien d’anodin puisqu’ils vont mourir et qu’ils le savent.

            120 battements par minute est un film d’action où pendant plus de deux heures, nous avons l’espoir de voir les choses avancer, bouger… Mais l’Histoire est ce qu’elle est, et ceux qui ne sont pas malades savent prendre le temps que les autres n’ont pas.

Le film est parfaitement rythmé entre vie associative, vie privée, grand discours et confidences sur l’oreiller.

Une légère ritournelle (signée Arnaud Rebotini, génie des notes caressées) revient tout au long du film. Un air léger qui sait se faire oublier et qui parfois, fait pleurer. Comme un virus, comme la maladie.

Ce qui m’a frappée dans ce film, c’est sa véracité (et donc obligatoirement sa violence).

Les acteurs, que je ne connaissais pas pour la plupart me sont apparus comme des révélations. Nahuel Pérez Biscayart qui joue le rôle de Sean est incroyable. Sa sur-interprétation, sa mouvance, son regard, le son de sa voix. Tout m’a retournée chez cet acteur. Le personnage de Nathan, tout en retenu, m’a également beaucoup touchée. Dans son parcours, ses histoires, sa souffrance interne, son sourire si large et si déchirant. Je m’y perds un peu, car je ne sais plus si je parle des acteurs ou de leurs personnages,  à la fin du film il m’était impensable de me dire qu’ils jouaient des rôles.

Les scènes de sexe me sont restées très longtemps en tête. Je les ai trouvées d’une grande beauté, d’une certaine grâce. Il en transpirait un sentiment si naturel que ces scènes m’ont émue aux larmes.

             120 battements par minute est un film aussi intelligent qu’important. Il dénonce sans grandes paroles mais avec des exemples, des tranches de vie. Des vies qui s’arrêtent trop tôt, comme quand la fête est finie. Des vies qui semblent en marge puisque personne n’en parle. Pourtant, elles sont bien là. C’est toujours le même refrain, mais aujourd’hui encore certain(e)s souffrent d’être eux-mêmes. Ils se font casser la gueule dans la rue sous les rires de leurs bourreaux, ils ne peuvent pas donner leur sang, pas avoir d’enfants. Ils, les États, font de leurs vies des montagnes à gravir, comme s’il leur fallait prouver plus que les autres, être meilleurs, pour être justifiables.

Durant tout le film, j’ai eu l’impression que les personnes séropositives n’étaient plus cette minorité que l’on pointe sans cesse, que l’espace d’un instant, si on essaie tous de se respecter, on peut vivre ensemble. L’espace d’un instant, je me suis aussi demandée à partir de quel moment, on a pu accepter l’entrée en concurrence des lobbys quand il s’agit de vie ou de mort. Quand le temps n’est plus compté et qu’il manque déjà.

 

            Je pleure fréquemment au cinéma, mais rarement à si chaudes larmes. Je pleure souvent –tout le temps- d’émotion, si peu de douleur comme ça a été le cas cette fois.

J’en profite pour le dire maintenant : il y a la dureté et la cruauté de la vie de manière frontale sur certaines scènes. Des yeux ouverts sur un corps mort. Des regards dans le vide sur des lits d’hôpital, des machines ultra sophistiquées reliées à des corps dans des appartements tristes.

Les réunions entre vivants autour d’un corps à peine froid.

En apprenant la mort d’un personnage, un autre dit « déjà ».

Au début j’ai pensé que c’était une parole étrange mais finalement pas.

Ce sont les mots d’une personne qui s’y attendait, qui le savait, mais qui n’a pas eu le temps de s’y préparer.

Parce que le temps de se préparer à la mort, c’est probablement toute la vie.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *