
The State : L’ultra protégée
Nouvelle mini-série britannique de 4 épisodes, The State plonge le téléspectateur au cœur de l’État Islamique à Raqqa en Syrie. La série fait polémique car elle est accusée de glorifier l’État Islamique. C’est un point de vue qui peut se comprendre car The State montre cet État nouveau et barbare sous un nouveau jour.
Dès le premier épisode, nous suivons les 4 nouvelles recrues qui quittent l’Angleterre dans la nuit, leur vie dans un sac à dos, prêts pour des heures de voyage jusqu’à l’ultra protégée Raqqa.
On ne rencontre pas ces personnages qui sont pourtant au cœur de la série. On ne sait presque rien d’eux, de leur vie, de leurs motivations. L’une part seule dans l’idée de pratiquer sa religion plus sereinement. L’un rejoint un proche, l’autre médecin veut apporter son aide aux combattants de Daesh.
Il n’y a pas de crises de larmes, de parents qui pleurent leur enfant. The State ne fait pas pleurer dans les chaumières, ce n’est pas une série qui nous fera dire que franchement « c’est horrible », et c’est bien toute sa puissance.
Dès le premier épisode, nous découvrons de manière très naturelle l’organisation de la vie quotidienne à Raqqa et c’est ce point précis, je crois, qui effraie.
Comme dans tous les États, l’État Islamique fonctionne avec une hiérarchie. On y voit alors les dirigeants, ceux qui briefent les nouveaux soldats puis les soldats eux-mêmes, d’une diversité ethnique à faire pâlir les quotas occidentaux. On nous explique en détails comment son formés les nouveaux arrivants, prêts à mourir la première fois puis se ravisant à la première tête découpée au canif en de longues minutes.
La série épargne peu visuellement. Les bébés morts, recouverts de poussière après les bombes des opposants sur l’hôpital, les parties de foot des enfants avec la tête du dernier prisonnier en guise de ballon. Ces images sont d’autant plus fortes qu’elles arrivent au moment où l’on s’y attend le moins. Aux moments où la vie semble plus ou moins paisible, loin des armes.
On y voit au delà de la hiérarchie « de guerre », la séparation des genres et leurs arrangements. La grande maison où vivent les femmes non mariées, dévêtues de leurs voiles, cet air de colonie de vacances aux salons immenses, aux lumières agréables sous lesquelles elles partagent des dîners, parfois des festins, au milieu des rires. C’est là, juste ici que tout le monde crie au scandale.
Peut-on vraiment montrer ce genre de vie aisée de l’ennemi numéro 1 mondial ? Est-ce raisonnable ?
Grande question, mais qu’importe la raison puisque c’est la vérité. Celle de 18 mois de recherches et d’interviews sur ce qui fascine autant qu’il effraie. Mais la série ne s’arrête pas sur ce que certains ont taxé de catalogue-voyage. C’est bien plus complexe et chaque plan est rempli de méfiance. On ne sait plus à qui l’on peut faire confiance, chacun juge la bonne pratique religieuse de son voisin. Il se dénoncent et l’entre aide est toujours démasquée. Quand on démasque à Raqqa, on ne pose pas de questions, on torture puis on achève. Ça servira de leçon à tous ceux qui sont forcés de regarder, jusqu’au jour (vite venu) où les hommes et femmes prendront du plaisir à assister aux tortures, comme une preuve qu’ils sont du côté du bien pendant que l’on se débarrasse du mal.
Même en plein cœur de la Syrie, The State a cet air de série britannique très noire, aux plans parfaitement cadrés et où même la lumière et la chaleur de l’orient ne parviennent pas à réchauffer. Tout est rythmé et malgré le peu de dialogues, les épisodes passent à une vitesse folle. J’en profite pour signaler l’importance de la version originale. On y entend toutes sortes d’accents. Certains tentent de s’exprimer en arabe, pour d’autres c’est impossible, ils n’en comprennent pas un seul mot. On découvre alors que l’État Islamique recrute des traducteurs car ceux qui donnent les ordres ne parlent qu’une seule langue et ceux qui exécutent (pour les plus chanceux) ne la comprennent pas.
Cette peine à communiquer correctement est aussi centrale dans les 4 épisodes et à tous les niveaux. Tout le monde peine à se comprendre, et au milieu des désillusions, au moment où l’on se dit qu’ils sont rapprochés et soudés par leur point central : l’islam. On réalise que c’est faux. Car au milieu de l’État Islamique, comme partout ailleurs, chacun y va de sa propre lecture.
La fin de la série aurait mérité un plus grand développement, une explication. Elle nous ramène à ce que l’on sait déjà, ce qui est plutôt dommage mais pardonnable grâce à la qualité de la série.
The State ne va pas jusqu’à placer ses personnages en victimes ou otages de Daesh, mais l’on perçoit aisément la souffrance de ceux qui ne s’attendaient pas à ça. Au delà de la souffrance, le manque. Le manque de tout. D’ailleurs, d’horizons, de lendemains, d’échanges, le manque de l’Autre.
Tout ce manque avant de sombrer dans l’aliénation dont la seule porte de sortie est la mort, que certains attendent comme le Messie.