
La Zone d’Intérêt : le film qui ne dit rien
Mais montre tout. Depuis toujours, je me demande ce qui doit primer au cinéma : l’image ? les acteurs ? les dialogues ? Je n’ai toujours pas la réponse (l’aurais-je ?), mais il faut du courage pour aller s’asseoir devant « La Zone d’Intérêt ».
Le montage est fait de sorte à ce que le spectateur entre sans échappatoire. Dès le début sonore sur écran noir. Le son du film est impressionnant et m’a beaucoup fait penser à celui du « Fils de Saul ». La thématique était la même. À croire que des décennies plus tard (pas tant) si l’on veut parler avec véracité des camps de concentration, ce ne sont pas les mots qu’il faut utiliser.
Le film n’explique rien. Du tout. On le comprend si l’on sait ce qu’est la Seconde guerre mondiale et l’extermination des juifs : et qui ne le sait pas ?
Les indices se nichent dans les détails et arrivent plus ou moins tard. Les uniformes SS, les croix gammées, mais surtout le son. Le bruit de fond qui ne s’arrête ni le jour ni la nuit. Qui est présent même lorsqu’on regarde les dahlias et les coccinelles. Les hurlements, la ferraille des portes, le feu, les ordres, les coups de fusil : tout ce qu’on ne voit pas mais qu’on devine, qu’on sait. Le spectateur de 2024 n’a plus besoin de voir. Il a vu. « La vie est belle », Primo Levi, Simone Veil, « Le garçon au pyjama rayé », « La liste de Schindler »… On sait.
Ce qu’on nous a moins donner à voir, c’est justement ce côté du mur : celui où les jardins fleurissent et où la nourriture est en abondance. Ce côté où vivent et dorment ceux qui exterminent toute la journée. Le repos du guerrier. Le film nous montre une vie familiale remplie de rien où plus de 4 domestiques sont au service de la femme du commandant. Le tout dans des plans très léchés, très photogéniques et presque gênants. Au mur tout est vide, terne mais ce sont eux qui retirent la vie avec la sincère conviction que cette extermination a tardé à arriver et qu’il aurait fallu éliminer les juifs bien plus tôt.
Dans les échanges, une certaine jalousie semble prendre sa revanche : le manteau de fourrure, le rouge à lèvres : symboles d’une vie passée aisée et remplie d’éclat qu’ils réduisent à néant.
Pour toutes ces conclusions, aucunement besoin de dialogue : le film nous montre sans rien dire. Il faut tout de même remarquer qu’aucun gros plan sur aucun visage nous est offert : pour déshumaniser ? Pour rester à distance de ces cruautés sans remords ?
À aucun moment ils ne semblent douter de ce qu’ils font. Leur famille est leur priorité : mais peut-on dignement offrir une enfance de l’autre côté du mur des camps de la mort ?
Le cinéma ne le permet pas (encore), mais tout au long du film on devine l’odeur insoutenable pour certains tandis que d’autres sont habitués, adaptés, contentés.
Après près de 2 heures, je n’ai pas plus d’avis que de mots. Je pense que des films comme « La Zone d’Intérêt » sont nécessaires. Au delà d’un devoir de mémoire, le film montre que ces années 39-45 ne sont pas indicibles. Ce sont des abominations réalisées par des hommes sur des hommes. C’est l’apothéose de ce qui arrive lorsqu’on monte des hommes contre des hommes. Il a fallu des hommes pour construire et penser les fours, pour créer de nouveaux camps, pour imaginer de nouveaux plans, pour se ranger dans les rangs. Il a fallu des hommes pour conduire des trains, pour partir à la chasse, pour jeter des corps rachitiques dans des trous. Il faut des hommes pour fermer les yeux.
Les guerres ne sont pas l’œuvre de machine mais le résultat de ceux qui veulent qu’elles soient.