
Où irons-nous ?
Quitter la région, je n’y songe même pas. J’en rêve secrètement mais je sais que ça n’arrivera pas.
En avril en France, c’est quand même beau. L’amour revient à travers champs et routes goudronnées. Les gens aux terrasses se voient déjà aux grandes vacances.
Un Renault Espace Crit’air 4 quittera la banlieue direction le sud. Ils emballeront les sandwichs dans la nuit du vendredi au samedi. Le même camping les attend chaque année. Si certains rient de haut qu’importe, puisque leur joie est immense.
D’autres prendront le train. Bagages légers puisqu’ils rejoignent leur résidence secondaire. L’année éprouvante se racontera sous les figuiers, rosé ou limonade à la main.
Certains, faute de moyens, resteront à la maison. Une piscine gonflable verra le jour dans le jardin. Suffisamment éloignée du barbecue pour éviter les accidents. Le temps sera tout de même doux le soir lorsqu’elle regardera les serviettes sécher sur le fil.
D’autres ont leurs billets d’avion depuis 4 mois. La côte ouest américaine, la Toscane, les îles grecques ou Berlin. Pour la première fois ou pour revoir les souvenirs. Les visages, les odeurs, les habitudes. Le bronzage sandale dont on se moquera. Le maillot de bain à portée de main.
L’heure des visites et le temps du temps.
Il y a ceux pour lesquels le mot « vacances » ne veut rien dire. Ceux qui continueront d’aller au travail. Mais le RER sera moins bondé, la nationale sera vide même à 18h et le fond de l’air sera tout de même celui de l’été.
L’été, c’est la liberté de chacun qui prend place. Le ralentissement ne force à rien. L’été, la vie change car elle se remplit de possibilités. Ce qu’on ne fera jamais mais qui nous donne un certain horizon.
L’été 2020 lui, n’existera probablement pas. Peut-être compterons-nous encore nos morts. Peut-être aurons-nous le droit d’aller et venir dans notre ville, notre département, peut-être même la région ?
Mais cet été il n’y aura pas d’avion, pas de train. Pas de 14 juillet, ni 15 août. Pas de chassé-croisé à la gare Montparnasse. Pas de pain au chocolat à 6h30 à Roissy.
Il n’y aura pas ce luxe, cette douce vie. Il n’y aura pas les yeux fermés dans l’axe du soleil à la terrasse d’un café du 7e arrondissement.
Il n’y aura pas la glace mangée le long de la Seine, qui coule et colle. Il n’y aura pas les doigts que l’on lèche en riant.
Il n’y aura pas tout ça.
Ça me rend triste. S’il n’y a pas tout ça, j’espère au moins qu’il y aura des gens vivants. Des familles qui retrouveront l’espoir. Des frayeurs appartenant au passé.
J’espère que s’il n’y a pas de bateaux, de glaçons ou de baisers, il y aura au moins des gens à qui l’on donne encore le temps de s’aimer.