Pensées
Le Consentement

Le Consentement

Ça vient probablement d’une idée marketing lancée un jour dans un bureau. Le bandeau avec le visage de l’autrice ou de l’auteur sur le livre.

Souriant, bien habillé, vendeur. Je n’y avais jamais prêté une grande attention. Nombreux mois après tout le monde, j’ai acheté Le Consentement de Vanessa Springora. Il était là sur un bout de la librairie.

Je tiens une liste de livres que je veux lire. Bien évidemment, je n’ai jamais cette liste lorsque je pousse la porte des magasins. Organisée. Cette fois, ce livre a été posé sous mes yeux. On est rentré ensemble.

De cette affaire, je ne sais que ce que j’ai lu dans la presse. Les interviews de l’autrice notamment. Je ne savais pas qui elle était. Je ne connaissais pas le pédocriminel dont elle a été victime. Ces personnes m’étaient inconnues. Avant de lire ce texte fluide et limpide, j’avais saisi une chose :

C’était les mots d’une femme qui a été abusée alors  qu’elle n’avait que 13 ans. L’homme avait plus de la cinquantaine, était célèbre et aimé de ses pairs. Un artiste. Cette emprise a duré plusieurs mois avec le consentement de tous. D’une mère, d’amis, de médecins, des médias. De l’influence.

Alors que je lis les mots de Vanessa Springora, je varie entre consternation, nausée et énervement. Le monde autour de moi vit doucement à mesure que je lis l’horreur.

Au loin, sur la plage, les enfants font des châteaux  de sable. Je lis un homme de 54 ans qui sodomise une enfant de 13 ans. Sur le port, les moins de 10 ans laissent couler la glace vanille sur leur t-shirt. Je lis un médecin qui accepte d’inciser l’hymen d’une enfant pour faciliter l’insertion du sexe d’un criminel. Une femme à quelques mètres de moi appelle ses enfants pour rentrer. Moi je lis la police qui ne prend pas au sérieux les accusations et flatte l’agresseur.

Je ne sais plus dans quelle réalité je me situe. Pourquoi est-ce que personne ne hurle ? Ne s’insurge ? Pourquoi n’est-ce pas un sujet grave dans l’esprit de tous ?

Dans ce récit, c’est les témoins qui me glacent. Ils sont si nombreux. Ils sont là, partout. Des hommes, des femmes, des quelqu’uns, des personnes. Personne ne voit le problème d’un homme qui raconte les agressions sexuelles qu’il fait subir aux enfants de Manille. C’est écrit noir sur blanc dans les livres qui ne sont pas des fictions puisqu’ils sont qualifiés de « journaux ». 

Un journal c’est  la réalité d’un quotidien. C’est l’intime. C’est ce qu’on ne peut pas dire et qu’on écrit. Plusieurs journaux de cet auteur ont été publiés. Ils ont donc été lus et validés. Personne n’a rien dit. Le voyez-vous venir cet ennui qui persiste ? On ne dit rien aux artistes qui fréquentent le grand monde. On les adule, les adore. On paie leur chambre d’hôtel pour que la police ne voit pas les mineurs, on lui paie ses déjeuners de travail. On les traite bien. Proprement. Dignement. Tous ces mots et ces concepts qui lui sont inconnus.

Au moment où je lis ce livre d’un courage surhumain, l’affaire ressort. Une figure indétrônable de la mairie de Paris trempe dans cette affaire. C’est fou cette façon de renier ses amitiés lorsque le vent tourne et que l’orage s’approche. De témoin de mariage, on devient simple connaissance de travail. La belle affaire. Pourquoi personne ne paie pour l’horreur de ces années ?

Faut-il pleurer les quelques personnes qui tombent lorsque la lumière se fait ? Mais qui a pleuré avec ces enfants abîmés ? La vie douce d’un jeune être ne vaut-elle pas plus qu’une position obtenue et entretenue dans la honte ?

La complicité n’est pas rien. La complicité c’est faire le choix d’accepter. C’est toujours un choix. Celui de se faire discret en espérant que jamais rien ne se sache. Se repentir ? Regretter ? Ils n’en ont pas l’élégance. Ne faudrait-il pas avoir le courage de regretter avant que ça se sache ?

Belle mascarade.

Faudrait-il sincèrement pleurer, pire soutenir et excuser ceux qui ont penser que le silence était infini ? Ceux qui ont pensé qu’on a le droit de faire des erreurs et qui embrassent tendrement leurs enfants déjà endormis le soir.

Il est tout de même rare de s’attirer les foudres lorsqu’on a été une honnête personne. Très rare.

À la sortie de son livre, beaucoup ont loué l’intelligence, le calme et la mesure de l’autrice. Elle ne fait pas de vague, elle ne demande rien à personne. Ce n’est pas une féministe hystérique et excessive.

Mais ont-ils lu le livre jusqu’aux dernières pages ? Celles où elle raconte la difficulté, la construction quasi impossible ? La panique qui l’amène souvent à s’isoler ?

Si j’y ai lu le témoignage d’une femme qui se relève, j’y ai également lu un appel à l’aide, au secours. J’y ai lu une affaire qui n’a pas été clôturée car le vide juridique laisse place à la souffrance d’une petite fille qui a du se battre contre elle-même avec un soutien absolument inexistant. 

Un grand récit ouvert pour que cesse la complaisance. Le Consentement. Celui des gens qui gravitent autour de l’enfer sans rien dire. Sans tendre la main. Sans oser se salir en allant à contre-courant.

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